« Sew the winter to my skin », le Robin des bois sud-africain
Présenté en première nationale dans le cadre de l’Online African Film Festival, « Sew the winter to my skin » (sélectionné au Festival International de Toronto en 2018) est un véritable western tourné au cœur des plaines sud-africaines. Avec une qualité de mise en scène digne des plus grands films américains, le cinéaste Jahmil X.T. Qubeka raconte le récit méconnu d’un héros africain.
La classe à l’américaine
Hypnotisant tout du long (2h10 !), « Sew the winter to my skin » est l’histoire vraie d’un hors-la-loi, John Kepe surnommé « Samson of the Boscher » qui volait le bétail des colons blancs pour nourrir son village. Poursuivi insatiablement, il a fini par être injustement condamné à mort pour meurtre dans l’Afrique du Sud des années 50.
Dans ce Robin des bois à la sauce sud-africaine, on trouvera tous les codes du western, de la mise en scène aux personnages. Les plaines désertiques du Colorado ou de l’Arizona sont remplacées par les paysages majestueux de l’Afrique du Sud. Plans américains, courses poursuites à cheval et prise de vues panoramiques en pleine campagne aride, le film n’oublie aucun écueil du genre. Clint Eastwood, dans Le Bon, la Brute et le Truand est troqué contre l’acteur sud-africain Ezra Mabengeza, la brute par un général de guerre blanc impitoyable, le truand par un traître noir et tortionnaire. Petit clin d’œil du cinéaste, l’un des personnages principaux porte le même costume de cow boy que Henry Fonda dans Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone et une moustache typique des méchants de western classiques.
Une mise en scène à couper le souffle
Là où le film s’éloigne du genre, c’est dans son rythme bien particulier, lent et contemplatif, et dans l’absence quasi-totale de dialogues. « Sew the winter to my skin » est un exercice de mise en scène pure, fait d’images et de sons. La composition de chaque plan est travaillée comme un tableau. Les couleurs, les lumières et les cadrages sont minutieusement composés, à l’image de ces longues courses poursuites où l’on suit un héros épuisé en plein désert, une lourde carcasse de mouton sur le dos, épuisé de son long périple à pied. Ces plans laissent sa silhouette se découper sur le bleu dur et tranché du ciel et sur la terre jaune, aride qui s’étend à perte de vue. On ne pourrait pas mieux ressentir la solitude et l’impuissance du héros que dans ces grands espaces vides. Sans parler de la bande originale, qui, tant dans ces musiques d’ambiance (sorte de country sud-africaine à la O’Brother des Frères Coen) que dans ces morceaux accompagnants les scènes d’action, est parfaite. Le travail du son est très sophistiqué alternant bruitages inquiétants et silences suspendus. Il est assez rare d’écouter une piste audio de cette qualité dans un long métrage, tellement minutieuse qu’elle participe à la caractérisation de certains personnages et décors.
Cependant à trop vouloir soigner son esthétique, le film pêche par son scénario… On met beaucoup de temps à comprendre de quoi il s’agit et quels sont les enjeux principaux. Le rôle historique des personnages n’est pas clair non plus. Sans parler d’un montage alternant flashbacks et temps présents qui nous perd en chemin. Une petite note explicative sur le contexte historique et le rôle de chaque personnage aurait été appréciée.
Se réapproprier ses propres mythes
Il est rafraîchissant de voir représenté un rôle traditionnellement interprété par un acteur blanc (Robin des bois), ici, revisité et joué par un acteur noir. Il est rare de voir au cinéma des héros noirs forts et subversifs sur le continent africain. Et pourtant son Histoire en est remplie.
Dans une des plus belles scènes du film, le personnage principal s’introduit par effraction dans la maison des colons, vole des objets et enfile le costume du général blanc, dont il conservera longtemps l’accoutrement. On pourrait y voir une métaphore du film qui lui aussi adopte les schémas esthétiques du cinéma américain, mais ne perd au fond jamais son identité sud-africaine.
Loin du misérabilisme ou d’un cinéma africain tourné vers l’Europe, « Sew the winter to my skin » confirme qu’un nouveau cinéma africain est en marche. Un cinéma audacieux, qui s’approprie sa propre histoire et s’empare du récit de ses héros. En passant par les codes du cinéma de genre connus universellement, le cinéma africain dévoile ses ambitions : conquérir le monde et toucher un public international. Et on ne s’y trompera pas, le rêve africain est là.
Retrouvez Sew the winter to my skin sur notre plateforme OAFF (Online African Film Festival) du 15 novembre au 15 décembre 2019 et profitez de plus de 30 films exclusifs sur le thème du rêve africain. https://oaff.cinewax.org/
Chloé Ortolé