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#Mêmepaspeur au Fespaco : et après ?

Le 28 février 2019, Nadège Beausson-Diagne brise le silence au Fespaco en révélant qu’un réalisateur africain avait tenté de la violer il y a 18 ans. Puis c’est au tour d’Azata Soro de parler de son agression lors du tournage en 2017 de la série "Le Trône" par le réalisateur burkinabè Tahirou Tasséré Ouedraogo. Elle révèle qu’il lui a lacérée le visage avec un tesson de bouteille après l’avoir harcelé sexuellement pendant six ans lors de plusieurs productions.

En dénonçant au grand jour les agressions sexuelles et les actes de violence dont elles sont victimes, les actrices et cinéastes africaines ont ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire du cinéma du continent. Dans la foulée, les collectifs de femmes, "Cinéastes non-alignées" et "Noire n'est pas mon métier" ont lancé sur twitter le mouvement #MemePasPeur, pour "libérer la parole des femmes" en Afrique, espérant encourager d'autres femmes à témoigner sur le même modèle que le mouvement #Metoo.

Pour mieux comprendre cet événement et le situer dans un contexte plus global concernant la place et la situation des femmes dans l’industrie du cinéma, Cinewax est allé à la rencontre de quatre professionnelles présentes à la cinquantième édition du Fespaco : Olga Tiyon d’Acajou Productions, la réalisatrice rwandaise Marie-Clémentine Dusabejambo, la réalisatrice Matamba Kombila et enfin Djia Mambu, journaliste et critique de cinéma.

 

Azata Soro. Actrice burkinabé et victime de violences au travail. Crédit photo : Marco Longari

 

Cinewax : Avez-vous senti un changement dans la reconnaissance et la représentation des femmes cette année au Fespaco ?

Olga Tiyon : Ce Fespaco a donné naissance au hashtag #Weareyennenga, un mouvement qui attire l'attention sur le manque de femmes réalisatrices dans l'industrie cinématographique mondiale. Il a été initié lors d’une rencontre des réalisatrices et productrices africaines le 24 février 2019 à l’Assemblée des Yennenga organisée par Fatou Kandé Senghor. Même si le nombre de films de femmes en sélection officielle augmente d’année en année, ces questions sont toujours d’actualité. Quid du financement de projets portés par des femmes ? Il suffit de constater la faible présence féminine dans les instances d’allocation de financement et dans les grandes maisons de productions pour voir qu’il y a encore des efforts à fournir pour atteindre la parité.

Marie-Clémentine Dusabejambo : Cette année de nombreuses voix se sont levées contre les violences faites aux femmes dans le métier. C’est nécessaire car il y a beaucoup de femmes qui souffrent en silence et il faut énormément de soutien pour sortir de ce silence. Mais de manière générale, la parité est respectée dans l’organigramme du festival. Elle l’est moins dans les films sélectionnés en compétition mais elle n’est pas absente. Les femmes sont visibles et leur visibilité se renforce d’année en année. Preuve en est : l’étalon d’or du meilleur documentaire long-métrage à été décerné à Aïcha BORO (Burkina Faso)

 

"Ce Fespaco a donné naissance au hashtag #Weareyennenga, un mouvement qui attire l'attention sur le manque de femmes réalisatrices dans l'industrie cinématographique mondiale." Olga Tiyon

 

Cinewax : Quelle est votre réaction au mouvement #Mêmepaspeur ? Pensez-vous qu’il va prendre de l’ampleur ?

Olga Tiyon : J’ai eu le privilège d’assister à la conférence du 28 février à Ouagadougou. En entendant tous ces témoignages, on est traversés par des sentiments de révolte et d’injustice. Peu importe l’ampleur que le mouvement #Mêmepaspeur prendra, le plus important c’est qu’il y a eu un premier pas de franchi pour dénoncer les violences, viols, harcèlements envers les femmes dans le milieu du cinéma en Afrique. Et que ce premier pas ait eu lieu au Fespaco, avec tout ce qu’il représente comme symbole pour le cinéma africain. Le visage défiguré d’Azata est aujourd’hui le symbole de la libération de cette parole. La honte et la peur doivent changer de camp. Il faut que tous ces hommes qui ont longtemps agi en toute impunité et parfois avec la complicité de certaines femmes sachent désormais qu’ils auront tout en face d’eux sauf le silence. Cela me fait d’ailleurs penser au documentaire « Les prisonnières du silence » réalisé par la jeune camerounaise Laeticia Loe Tonye, qui met en lumière le phénomène connu mais tabou des viols des femmes et des filles au Cameroun. Chacune de ses projections publiques suscite des larmes et des témoignages de victimes qui disent « Cette histoire est la mienne. Je pensais être la seule à l’avoir vécue. Je veux parler, je veux me libérer ». C’est dire que le mal est profond et que les victimes ont été trop longtemps murées.

Matamba Kombila : Oui, ce mouvement va s’étendre et prendre de l’ampleur, cela est inévitable car beaucoup de femmes talentueuses, fortes et déterminées sont très actives dans le cinéma africain et sa diaspora. Il me semble cependant que son impact effectif dans l’industrie sur le continent dépend d'une réévaluation nécessaire du principe de corocratie, qui est la perpétuation du droit d'ainesse et du règne des ainés, encore trop ancré dans nos sociétés, et de l’avènement de leaders de tous genres des génération X à Z.

 

De gauche à droite : Nadege Beausson Diagne, Azata Soro et Pascale Obolo. Crédit photo : ISSOUF SANOGO / AFP

 

Marie-Clémentine Dusabejambo : C’est une bonne chose évidemment. Après, il faut se demander dans quelle mesure des mouvements comme #Mêmepaspeur et #Metoo sont utiles pour soutenir de manière effective la cause des femmes et de leur art. Ce mouvement reste un mouvement sur les réseaux sociaux. Or chaque pays a ses complexités, et différents problèmes à résoudre.  Il y a donc des solutions diverses à trouver. Quels liens vont se mettre en place entre ce mouvement et la réalité de tous les jours ? Que va-t-il en sortir ? Azata Soro a été agressée en 2017. Tout son réseau était au courant et beaucoup ont diffusé l’information à d’autres réseaux d’amis. Malgré cela, les médias ne se sont jamais penché sur l’affaire. Ce n’est qu’à l’occasion du Fespaco que son témoignage prend aujourd’hui de l’importance. Lorsqu’on est face à ces violences sexuelles il faut se prononcer directement quand les faits sont commis. Il ne faut pas attendre d’être en public, ou à un festival pour dénoncer les faits et mettre les coupables en face de leurs crimes.

Djia Mambu : Cette année, il y a eu une forte expression d’indignation vis-à-vis de la présence de cinéastes masculins en compétition alors qu’ils avaient été accusés de faits de violence à l’encontre de certaines femmes. J’ai été très touchée par ce mouvement. Il faut continuer à en parler pour marteler l’idée que ces crimes ne resteront pas impunis. Ces agissements existent malheureusement dans beaucoup de métiers et de disciplines artistiques et ils restent souvent tus. Le cinéma n’échappe pas à cette réalité. Alors oui, un mouvement comme #Mêmepaspeur est nécessaire car il en va de la responsabilité des festivals et des promoteurs de l’industrie cinématographique et culturelle de ne pas encourager l’impunité en sélectionnant des auteurs qui ont été accusés de viols et agressions.

 

"Ce mouvement reste un mouvement sur les réseaux sociaux. Or, chaque pays a ses complexités, et différents problèmes à résoudre.  Il y a donc des solutions diverses à trouver. " Marie-Clémentine Dusabejambo

 

Cinewax : Y-a-t-il assez de récompenses pour les femmes réalisatrices, scénaristes et productrices ?

Olga Tiyon : Bien sûr que non. En 50 ans d’existence du Fespaco, pas une seule femme n’a remporté l’étalon d’or du Yennenga, alors même que ce prix fait référence à la Princesse Yennenga issue du mythe fondateur de l’empire Mossi. C’ est assez représentatif du déficit de reconnaissance des oeuvres féminines. Mais le but n’est pas d’avoir des récompenses uniquement basées sur le genre, pour faire politiquement correct. Cela pourrait donner l’idée que les femmes ne sont plus compétitives quand les hommes entrent dans l’équation. Or, c’est tout le contraire qui est à prouver. Le bon côté c’est que de plus en plus des femmes sont actives dans la réalisation, les scénarios et la production ainsi que dans les métiers techniques du cinéma. On sort donc aujourd’hui des métiers de costumières, maquilleuses, scriptes ou restauratrices, auxquelles elles étaient auparavant cantonnées sur les plateaux de tournage.

Matamba Kombila : On devrait plutôt se demander s’il y a assez d’oeuvres réalisées, produites et écrites par des femmes présentées en compétition pour que les chances des femmes d’accéder aux récompenses soient égales à celles des hommes? La réponse est de toute évidence non.

Djia Mambu : Cette année il y a eu une belle visibilité des œuvres féminines au palmarès. Trois poulains ont récompensé des courts-métrages réalisés par des femmes : Amel Guellaty (Tunisie) avec « Black Mamba », Khadidiatou Sow (Sénégal) avec « Une place dans l’avion » et Angèle Diabang (Sénégal) avec « Un air de kora ». Il y a aussi eu Aïcha BORO (Burkina Faso) qui a remporté l’étalon d’or du meilleur documentaire long-métrage pour son très beau « Le loup d’or de Balolé ». Cela indique que le débat ne doit pas se poser au niveau des prix et récompenses mais plutôt en amont. Et si les femmes sont bien représentées dans le palmarès des courts-métrages et des documentaires c’est parce que ce sont des catégories moins coûteuses que les long-métrages de fiction. Cela prouve que c’est une question d’allocation des moyens de création.

 

"Il faudrait plus de femmes en amont du processus de réalisation et de création pure." Djia Mambu

 

Cinewax : Quels changements sont nécessaires pour faire des femmes des professionnelles du cinéma à part entière avec une légitimité indiscutable ?

Olga Tiyon : Les mêmes changements que ceux qui sont faits dans tous les domaines où ils existent un accès et un traitement non équitables entre les hommes et les femmes à compétences égales. Ils se résument en deux mots : équité et diversité. Que ce soit dans la formation, dans l’accès aux différentes ressources, dans le développement de compétences, dans le déploiement de celles-ci sur le terrain. Et aussi dans la reconnaissance et la légitimité qu’elles peuvent avoir de leurs pairs ou du grand public. Alimata Salambéré Ouedraogo, qui fut la présidente du comité d'organisation du tout premier Fespaco en 1969, est un exemple fort : c’est une des femmes pionnières du fait de sa contribution à la promotion du cinéma et des industries culturelles en Afrique.

Matamba Kombila : Je pense que le changement vient de l’individu et qu’il est inévitablement contagieux. Sur ce point je travaille à susciter ou encourager des vocations féminines en partageant ma passion du cinéma avec le plus de jeunes filles et femmes possible, par le biais d’ateliers de réalisation, de jobs ou de stages sur mes productions. Il me semble aussi important de valoriser les femmes/filles sur les tournages et de leur proposer un espace sûr si elles ont besoin de parler, de les sensibiliser ainsi que tous les membres de nos équipes de tournage afin d’éviter le harcèlement et ce type de dérives sur nos plateaux. Il me semble également important que les femmes soient solidaires, car le changement ne peut qu’être bénéfiques à toutes. Donc il faut arrêter de travailler pour ou d'embaucher ceux qui sont connus pour ces comportements abusifs car ils ne changeront pas.

Djia Mambu : Il faudrait plus de femmes en amont du processus de réalisation et de création pure. Il faudrait qu’elles soient présentes dans toutes les sphères de l’industrie du cinéma en commençant par les lectures de scénario, les commissions de film et d’attribution de fonds, les jurys, les maisons de production, etc. C’est là que leur présence doit s’étendre et que leur sensibilité doit se faire entendre. En commentaire final, je dirai qu’il y a eu un malheureux lobbying qui a fait pression pour avoir un étalon féminin cette année. À mon avis, cela dessert la communauté féminine dans les cinémas d’Afrique et d’ailleurs car, encore une fois, l‘étalon doit être remis au meilleur film selon les critères du jury. Le jury ne peut pas céder à des pressions surtout s’il y a deux ou trois réalisatrices en compétition. Ce type de lobby donne une vision biaisée de la critique de l’art ou du jugement sur l’art. Heureusement, le jury n’a pas cédé à cette pression et a remis les palmarès selon son jugement.

 

*Crédit photo : Ina Makodi. La réalisatrice Khadidiatou Sow pose devant le mur des réalisatrices africaines imaginé par Fatou Kande Senghor.

Propos recueillis par Sidney Cadot-Sambosi - rédactrice Cinewax

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