Les Misérables de Ladj Ly, la critique
Ladj Ly, réalisateur de documentaires et membre du collectif Kourtrajmé, signe quarante ans après les premières émeutes urbaines en banlieue, une œuvre magistrale tournée à Montfermeil. Dans cette bourgade de 26 000 habitants à l’est de Paris, il nous permet à vol d’oiseau, une plongée au coeur d’une certaine réalité des quartiers périphériques. Ce sont 1 h 44 de narration ramassée servi par des comédiens de talent.
Coupe du monde 2018 : une victoire au goût amer
Le récit s'ouvre sur ce moment, intense, la victoire de la coupe du monde de football par la France. Un moment heureux que la jeunesse gardera en mémoire comme d'autres ont gardé la victoire de 1998. C'est une scène de liesse, les garçons en grande majorité, exultent. C'est une foule qui crie, la foule Sentimentale française en somme. Mais déjà une sombre mélodie rode et annonce le désenchantement à venir.
Fais le bon choix
Do the right thing, s'affiche comme une référence pour le réalisateur. Sorti en 1989 le brûlot du cinéaste Spike Lee brosse un portrait sans concessions des fractures sociales de l'Amérique au travers d’une journée. Les hommages apparaissent en filigrane, notamment par cette succession de punchlines et scènes comiques, qui contiennent chacune une once du drame inéluctable qui vient. L’histoire commence, dans les deux films, par une chaude journée, 35°, où tout le monde est sensé rester chez soi plombé par l’atmosphère.
Au bout de 20 min de film, la tension se fait jour, et elle ne redescendra pas une seconde jusqu'à la scène finale. C'est que les violences policières sont choses communes dans les quartiers périphériques. Ladj Ly, natif de Montfermeil, s'est inspiré d'une scène à laquelle il assiste lors de ces nombreux cops-watch, c’est le fait de filmer une arrestation musclée. De là il réalise en 2016 un court-métrage centré sur une "bavure policière" filmé par un drone. Et c'est le centre du film.
Les Misérables, ce sont ces jeunes qui s'ennuient, qui font de grosses bêtises comme voler des poules. Les Misérables, ce sont aussi les policiers, les cadres en charge de tenir la cité qui usent et abusent de la violence pour être respecté. La violence est exacerbée, mais elle ne vient pas forcément de ceux qu'on fustige habituellement. La violence, c'est la loi à géométrie variable, les humiliations répétées, l'indifférence, les logements insalubre...
Du documentaire à la fiction
Au plan esthétique Ladj Ly sublime les paysages de la cité des Bosquets grâce à des vues de drones. Il ressuscite ainsi les vues d’architectes et de promoteurs des premiers grands ensembles qui vendaient un bonheur moderne et collectif. La lumière est sublime aussi, elle inonde les plans et souligne en un sens la misère qui règne dans ce quartier. Le béton a pris, mais il fissure au soleil.
La beauté ne cache rien du fond et des failles dans les œuvres de ce réalisateur venu du documentaire. En 2018, il est nommé au César du meilleur documentaire, avec Stéphane de Freitas, pour À voix haute, la force de la parole. On y suit des jeunes qui concourent pour une compétition d’éloquence, Eloquencia. La même année son court-métrage dont découlera son premier long-métrage, Les misérables, est nommé à la fois au festival de Clermont-Ferrand et aux Césars.
Les Misérables, version longue, a reçu le prix du jury au Festival de Cannes 2019, présidé par Alejandro González Iñárritu, le réalisateur mexicain. La suite : le film représentera la France aux Oscars en janvier 2020. Parions sur cette oeuvre forte et bouleversante.
Les misérables, sorti le 20 novembre 2019
Mukashyaka Nsengimana, rédactrice Cinewax