"I'm Not a Witch", un conte entre magie noire et féminisme
Le premier long métrage de la cinéaste Zambienne Rungano Nyoni explore les méandres d’une féminité occultée.
Tantôt papesses du savoir, guérisseuses et mangeuses d’enfants au nez crochu… Tantôt séductrices ravageuses, femmes libérées, rebellées et croqueuses d’hommes invétérées. Souvent ridiculisées ou hyper sexualisées, les sorcières éveillent et incarnent un fantasme qui, nourri de légendes, films et séries, laissent planer un doute quasi mystique sur la véracité de leur existence.
Pourtant, dans "I’m not a witch", pas de vieilles femmes au nez crochu ni d’irrésistibles sirènes des eaux. Dans ce conte satirique, critique acidulée d’une Zambie mondialisée, la petite Shula, 9 ans, est accusée de sorcellerie par les habitant(e)s de son village. Aux rythmes de l'Allegro non molto’ de Vivaldi, c’est à bord d’une navette peuplée de curieux que vous embarquerez destination le zoo des sorcières : admirez, photographiez et posez en compagnies de ces dames ! Le tout est filmé en caméra embarquée façon documentaire. Vous n’aurez donc pas d’autre choix que de suivre le guide.
Une fable mystérieusement envoûtante
"I’m not a witch", premier long métrage de la cinéaste Zambienne Rungano Nyoni, poursuit la direction lancée avec le court-métrage "Listen", véritable bijou visuel et scénaristique multi-récompensé en festivals. Dans les deux films, la réalisatrice présente la longue route sinueuse vers la quête de liberté et de connaissance de soi-même, pour deux figures féminines au cœur des traditions et des croyances ancestrales africaines.
Ironie du sort dans cette ode à la féminité : dans "I'm Not A Witch" ce sont majoritairement les femmes du village qui accusent la petite Shula de sorcellerie. Condamnée à une sororité forcée, malheur à la petite fille si elle tente de s’enfuir de sa cage dorée ! Elle se transformera en chèvre si tenté qu’elle ose toucher la lumière !
L’enfance est utilisée ici pour couper le mal à la racine, pour dépecer l’essence avant l’éclosion. Elle est le symbole du tabou et de la méconnaissance de soi, appuyé par des rivalités féminines conditionnées et entretenues de schémas qui sont reproduits de manière générationelle. Le tout dans un village aride, telle une punition divine ultime, allégorie discrète d’une sexualité réprimée et asséchée.
Cette fable ensorcelante, à l’esthétique délibérément désaturée, est incarnée par Margaret Mulubwa, une jeune comédienne au jeu espiègle. Personnage touchant, un brin insolente, figure rebelle de la sorcière malgré elle. Tatouée sur le front de la marque de la bête, symbole de son allégeance démoniaque, elle est capturée, utilisée et testée à des fins divinatoires par les habitants du village.
“Un véritable ovni cinématographique”
Signe que la satire politique est sans cesse présente dans ce conte tragique, derrière les portes de ce « petit paradis » se cache un homme politique local. Et si ce dernier ne possède à priori aucun pouvoir magique, il jouit d'une lumière sociale certaine lui permettant d’exploiter à son aise, lesdites capacités surnaturelles de l’enfant sous les yeux des habitants volontairement non-voyants.
Alors, lorsque la volonté de trouver et d’incarner la lumière se transforme en quête noire, est-il nécessaire d’éveiller les consciences éteintes ?
Hymne aux cycles naturels et cercles fraternels, cette pépite visuelle est un véritable ovni cinématographique africain. Car si la figure de la sorcière ne cesse d’évoluer, influencée par les luttes féministes occidentales; la seule prononciation du mot sorcière reste encore taboue dans les communautés africaines.
I’m not a witch, a été récompensé du prix du meilleur premier film au British Independant Film Award en 2017. Promesse d’un voyage ésotérique inoubliable, passage obligé de l’ombre à la lumière, vous ne sortirez décidément pas indemne de vos écrans noirs.
Cécilia Agnes-Keita - Rédactrice Cinewax