« Dans les écoles de cinémas en Afrique francophone, on n’enseigne pas encore assez l’importance du scénario »
Cinewax a rencontré Lucie Guérin, responsable du développement international au Festival International des Scénaristes de Valence.
Nous savons peu de choses sur les scénaristes africains. Lorsque l’on parle de l’industrie cinématographique sur le continent on pense aux réalisateurs, aux acteurs, aux producteurs ou encore aux problèmes dans la distribution des œuvres. Mais on évoque rarement ceux qui imaginent et écrivent les histoires portées à l'écran.
Le scénario est pourtant élémentaire. Il est le premier matériau que le producteur pourra présenter aux investisseurs, aux coproducteurs et aux distributeurs potentiels. Avec un mauvais scénario, un film a moins de chance d’être financé et de voir le jour. L'écriture est donc une étape essentielle dans les pays africains, qui n'ont souvent pas les ressources nécessaires pour supporter entièrement le poids financier de la production d’un film et pour qui la recherche de coproducteurs étrangers reste vitale.
Cette année, le Festival du Scénario de Valence (avril 2019) a fait un focus sur les auteurs africains francophones au sein de son marché. Un évènement unique en Europe, qui a favorisé les rencontres entre scénaristes et producteurs. Pour Lucie Guérin, responsable du développement international et des rencontres professionnelles au festival, les jeunes auteurs issus d'Afrique francophone ont beaucoup à dire et à offrir. Tout ce qui leur manque dit-elle, c'est un espace de représentation.
Cinewax - Pourquoi avoir décidé de consacrer la programmation internationale du festival aux auteurs africains ?
LG - Nous avons créé ce marché professionnel pour que les scénaristes puissent rencontrer des producteurs, des diffuseurs et des agents. Cette année, nous avons décidé de l’ouvrir davantage à l’international et plus particulièrement à des projets d’Afrique francophone. Suite à l’appel à projets, nous avons reçu une quarantaine de candidatures très variées allant du long métrage d’animation à la série en prise de vue réelle. Pour une première édition, c’est un très bon résultat, qui prouve qu’il y a un réel potentiel et une grande richesse de création sur ce continent.
Cinewax - Avez-vous remarqué de l’intérêt de la part des producteurs européens et américains pour les scénarios africains ?
LG - Le festival a pour but de susciter un attrait chez les producteurs. Lors de la présentation des projets, il y avait des producteurs français mais aussi des suisses, des québécois et des belges… Nous avons dans l’idée de ne pas seulement présenter des scénarios dans l’éventualité d’une coproduction entre la France et un pays africain, mais aussi de leur donner toute la possibilité d’être co-produit par un pays tiers. Les producteurs ont été très enthousiastes suite à la session de pitch des projets. On ne sait pas encore si cela va porter ses fruits, mais on a remarqué un intérêt notamment chez les producteurs indépendants qui ont l’habitude de travailler à l’international. Pour les autres, on pouvait sentir un intérêt en même temps qu'une certaine réserve. Ceux qui n’ont jamais produit à l’international sont particulièrement sceptiques à l’idée de produire en Afrique francophone car ce n’est pas du tout dans leur ligne éditoriale et dans les cycles de financement qui leurs sont familiers.
Cinewax - Sur le continent, rares sont les incubateurs réservés aux scénaristes alors qu’en Europe et en Amérique, il en existe dans chaque grand festival. Pensez-vous que le métier de scénariste ne soit pas assez valorisé en Afrique francophone ?
LG - Les quatre auteurs invités au festival nous ont effectivement fait part de cet aspect. Selon eux, le scénariste n’est pas assez mis en avant et l’industrie ne s’intéresse pas assez à l’histoire et à sa construction. Dans les écoles de cinéma, on n’enseigne pas encore assez l’importance du scénario et c’est pourtant quelque chose qu’ils ont tous envie de porter, car d’un bon scénario découle un succès commercial potentiel !
Cinewax - Intégrer des scénarios de films d’initiative africaine au sein du marché envoie un message fort : le cinéma africain a dorénavant une valeur marchande importante et peut être commercialisé. Il s’agit d’un bouleversement récent dans l’industrie cinématographique à l’image du succès au festival de Cannes d’« Atlantique » de Mati Diop. Pensez-vous qu’il y a actuellement un attrait particulier pour les productions africaines ?
LG - Nous pensons que c’est le moment de mettre en avant ces talents. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une source de création assez impressionnante dans ces pays, là où il n’y a pas forcément les moyens et la visibilité nécessaire pour que les projets naissent. Notre idée était d’être un tremplin et de leur donner une vitrine, une ouverture sur l’industrie européenne. Car ce sont encore des projets que l’on voit peu dans les festivals internationaux et dans les marchés. On sent qu’il y a une émulation et qu’ils sont de plus en plus présents, mais il y a encore un manque cruel de visibilité. Nous pouvons jouer un rôle là-dedans en tant que festival et mettre en avant le début d’un projet, d'une écriture ou d'un scénariste.
Propos recueillis par Chloé Ortolé - Rédactrice Cinewax