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"Banlieusards" : un film pas condamné à l'échec

"Banlieusards" c'est l'histoire de la famille Traoré en prise avec ses choix dans une réalité complexe vivant à Champigny. C'est aussi un combat de plus de trente ans mené par Kery James pour que la banlieue raconte aussi sa propre histoire.

Une chanson en 2008, une pièce de théâtre en 2017, un film en 2019, "Banlieusards", l’histoire d’une vie, de plusieurs, celle de Kery James, de Zineb et Bouna, d’Adama Traoré, et d’environ 5 millions d’habitants vivant dans les quartiers populaires en France.

Kery James : un guerrier avec des rimes contre les ghettos, l’injustice et le racisme en porte-cartouches

Alix Mathurin, plus connu sous le nom de Kery James, est né en 1977 aux Abymes en Guadeloupe. En octobre 1985, il rejoint avec sa petite sœur une pension en France. Sa mère les récupère plusieurs mois plus tard et ils s’installent à Orly dans un 30m2. À 13 ans, lors d’un atelier d’écriture, Kery James rencontre MC Solaar, ensemble, ils enregistrent « Qui sème le vent récolte le tempo ». Deux ans plus tard, c’est la création du groupe Ideal J, leur premier single « La vie est brutale » dénonce l’abandon des enfants de la République par l’Etat. L’équipe de la mafia K’1 Fry se monte au milieu des années 90. A la suite de l’assassinat de LAS, un des piliers de la mafia d’Afrique, Kery se retire du rap et se tourne vers la religion (« Puis j’ai appris l’Islam, cette religion honorable » extrait de son livre « 92-2002, 20 ans d’écriture »). En 2001, il revient avec « Si c’était à refaire », son premier album solo aux couleurs pacifistes. Quatre ans plus tard, dans Illicite Project, par son morceau « Je ne crois plus en l’illicite », il raconte la rue et ses illusions  : 
« La rue c’est la mort ou la prison, 
Prouve-moi le contraire,
Mais ne parle pas trop car c’est peut-être demain qu’on t’enterre,
Je ne crois plus en l’illicite,
Je dis que c’est elle qui a brisé mon équipe d’Afrique 
»


« Banlieusards » : une parole confisquée par le cinéma français

Rappeur conscient, rappeur politique dès ses débuts, en 2008, Kery James écrit la chanson « Banlieusards », sa voix résonne : 
« On n'est pas condamné à l'échec, voilà l'chant des combattants
Banlieusard et fier de l'être, j'ai écrit l'hymne des battants
Ceux qui n'font pas toujours ce qu'on attend d'eux
Qui n'disent pas toujours c'que l'on veut entendre d'eux
Parce que la vie est un combat »

Il va plus loin et écrit dès octobre 2017 « À vif », pièce de théâtre jouée au théâtre du Rond-Point à Paris. Plus de 150 représentations sont tenues et des milliers de spectateurs y assistent. Pourtant Kery James n’arrive toujours pas à convaincre le cinéma français de l’intérêt de son film. Pendant plus de cinq ans, il se bat contre les distributeurs et les cinémas, mais l'ensemble des salles leur refuse la diffusion du film. A croire que ces derniers ne trouvent pas légitimes la parole d’un noir issu de la banlieue et d’une métisse franco-sénégalaise venant du rap. Finalement, Kery James accepte une offre de diffusion par Netflix, « son dernier choix ». 


Des choix à l’épreuve d’une réalité complexe pour les habitants des banlieues

« Banlieusards » c’est l’histoire de trois frères élevés par leur mère veuve dans une banlieue francilienne. Tandis que l’ainé, Demba, sort de 7 ans de prison et gère le réseau de drogue du quartier ; le cadet, Soulaymaan, est élève-avocat. Le petit dernier, Noumouké, inspiré par chacun de ses frères, se situe à la croisée des chemins, à l’heure de ses propres choix. Une mise en abîme entre la vie de cette famille et le concours d’éloquence auquel participe Soulaymaan (joué par l’impressionnant Jammeh Diangana) nous amène pendant plus d’une heure et demie dans cette réalité complexe qu’est la banlieue. La question, posée à Soulaymaan « L’Etat est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France ? », c’est l’ensemble des personnages du film qui y répond, chacun à sa manière. Parce que, oui, si la banlieue est victime d’un Etat défaillant, qui ghettoïse une population racisée et paupérisée, nourrit une police violente et assassine. La banlieue est aussi composée d’habitants libres, libres de leurs choix, émancipés, responsables, en capacité d’échapper à l’économie souterraine et à ses violences. Soulaymaan, pendant la finale du concours d’éloquence, déclame : « Je ne suis pas spectateur de ma vie, car j’en suis le sujet ».



Un film esthétique aux nombreuses références

La co-réalisation, entre Kery James et Leïla Sy, amène les dialogues et l’image à se nourrir en permanence, renforçant l’impact des scènes pour le spectateur. La manière dont est filmé le quartier Bois-L’Abbé de Champigny fait de lui un personnage à part entière auquel nous nous attachons. Les cinq semaines de tournage et la mobilisation des habitants donnent une sincérité supplémentaire à « Banlieusards ». La présence de Mathieu Kassovitz lie tout naturellement le film à « la Haine ». Le contrôle au faciès de Soulaymaan à proximité du RER y fait aussi référence. Les films Boyz N the Hood (John Singleton, 1991) ou encore Scarface (Brian de Palma, 1984) sont aussi présents dans les esprits. Autre clin d’œil, la dénonciation des violences policières, tandis que la fratrie s’appelle Traoré, Amal Bentounsi (dont le frère a été tué d’une balle dans le dos par un policier) est assise dans le public lors de la finale du concours d’éloquence. A ce qu’il paraît, le prochain film de Kery James portera sur son histoire.

Film de Kery James et Leïla Sy, avec Kery James (Demba), Jammeh Diangana (Soulaymaan), Chloé Jouannet (Lisa) et Bakary Diombera (Noumouké). Sortie le 12 octobre 2019 sur la plateforme Netflix.

 

Coline Rande, rédactrice Cinewax

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