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« Atlantique » : une génération perdue en mer

« Grand Prix » au festival de Cannes, le premier long métrage de la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop est vibrant, hypnotique et poétique. Sortie en France prévue le 2 Octobre prochain. 

La majesté silencieuse de l'océan Atlantique qui s’étend à perte de vue face à un Dakar en pleine transformation fourmillant de monde et de bruits. C’est sur ce contraste que s’ouvre « Atlantique ».

Entre ces deux mondes, où se trouvera l'avenir des deux jeunes sénégalais Ada et Souleiman ? Dès le départ, la possibilité d’un futur commun pour les jeunes amoureux est compromise. Ada est promise à un autre homme. Tandis que Souleiman, exploité par un patron véreux, a décidé de quitter le Sénégal pour s’en sortir. Le jeune homme partira en pirogue avec ses amis sans mot dire, laissant derrière lui son amante à un triste mariage arrangé. Mais l’âme du garçon et de ses compagnons de route reviendront hanter les vivants...

Convoquer des fantômes

On avait déjà pu apercevoir le talent de Mati Diop pour ressusciter les fantômes dans « Mille Soleils », un court-métrage en forme d'hommage au cinéma de son oncle, Djibril Diop Mambety. Il est l’un des cinéastes les plus reconnus du continent africain, grâce à son film culte « Touki Bouki », qui mettait déjà en scène deux amants qui se trouvaient séparés car l’un d’eux embarquait sur un bateau pour l’Europe. Les questionnements autour de l'émigration traversent donc le cinéma de la nièce et de l'oncle. Faudrait il partir pour être heureux ? N’y a-t-il aucun espoir de construction dans son propre pays ? Les deux films ont la même conclusion : choisir la vie, c’est rester.

"Atlantique" évolue entre la vie et la mort, à l’intérieur de limbes flottantes aux contours flous et à l’atmosphère inquiétante. La lumière y est pâle et douce.  La nuit n’est jamais complètement noire et il y a comme un arrêt sur image aux moments où le soleil se couche, où le jour et la nuit se côtoient, où les corps ressuscitent, où la mort prend peu à peu le pas sur la vie. Le personnage principal, joué par Mame Bineta Sane (véritable révélation) est lui-même entre deux eaux. Jeune fille pas tout à fait femme, elle est un être en devenir dont l’identité est en pleine définition.

Feu sur la ville

Malgré sa mise en scène léchée, il s’agit aussi d’un film révolté et politique. Car « Atlantique » est avant tout l’histoire d’une revanche. Les morts pourront réclamer justice à leurs bourreaux. Les exploités viendront hanter leurs employeurs jusqu’à ce que justice soit faite. Les irresponsables seront forcés de payer pour leurs crimes.

Le premier titre du film était « La prochaine fois, le feu ». Et c'est bien une histoire de vengeance.  Le jour de son mariage, le lit de noces d'Ada s’enflamme inexplicablement. La police enquête sur cet incendie surnaturel. Mais cette flamme vient de l’au-delà, comme un message d’avertissement. C’est à la fois, le feu divin de la sentence, la brûlure du désir qui consument le corps d'Ada et Souleiman et le feu de la colère face à l’injustice.

Il y a bien quelques maladresses dans le scénario et la dramaturgie, mais ces imperfections apportent paradoxalement une fougue et une force supplémentaire au film. Mati Diop délivre ici un cri d’amour tourné entièrement en wolof pour la jeunesse sénégalaise qui apparaît plus vivante que jamais. Avec ce film inspiré et onirique, elle ressuscite la place du cinéma sénégalais sur la scène internationale : celle d’un cinéma inspirant le monde entier, comme l’avait fait presque 60 ans auparavant Djibril Diop Mambety.

Chloé Ortolé

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