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À la recherche du vinyle d’Ébène rejoue les notes congolaises de l’enfance, de Franklin Boukaka à Franco

À gauche : Rufin Mbou Mikima, à droite : Aidan Craik. Crédit photo : Roger Legrand

 

« Pour moi, la musique congolaise est un cri du cœur. À l’époque des vinyles, c’était de la politique, c’était de l’engagement citoyen, c’étaient aussi de beaux moments de connaissance et de partage. » nous confie Rufin Mbou Mikima, le réalisateur de À la Recherche du vinyle d’Ébène.

Ce road-movie documentaire réalisé en 2017, nous entraîne au cœur des deux Congos, terres de musique pour Aidan le disquaire, et terre-mère pour notre invité Rufin Mbou Mikima.

Le film suit Aidan, un disquaire du Havre en quête de vieux vinyles de musique congolaise, et Rufin lui-même à la recherche des voix de son enfance, des Franklin Boukaka, Franco et autres Bantous de la Capitale, dans les sillons du Congo Brazzaville et de la République Démocratique du Congo.

 À la Recherche du vinyle d’Ébène est visible sur la première plateforme dédiée aux films d’Afrique et des diasporas, l’OAFF (Online African Film Festival).

Pour Cinewax, Rufin Mbou Mikima s’est prêté au jeu de l’interview, l’occasion de (re)découvrir vos classiques congolais !

 

A la recherche du vinyle d'ébène, bande annonce from Scotto Productions on Vimeo

Cinewax : Pour commencer, peux-tu nous décrire quel est ton lien personnel avec le vinyle ?

Rufin Mbou Mikima : Mon lien personnel avec le vinyle se traduit par mon lien personnel avec la musique congolaise des années 1970. J'ai connu cette musique d'abord en cassettes, chez mes parents qui écoutaient beaucoup de musique, et qui d'ailleurs se disputaient en musique. J'avais déjà vu passer des vinyles au Congo, mais c'est véritablement au Havre, dans la boutique d'Aidan - le personnage principal de ce documentaire - que j'ai vu cette musique que je connaissais, en format vinyle. C'est à ce moment-là que j'ai eu envie d'en savoir un peu plus. Surtout lorsque j'ai vu Aidan ressusciter des vinyles, j'ai trouvé ça super beau. Pour moi, c'était aussi l'occasion de redonner vie à cette histoire de mon enfance et à l'Histoire du Congo.

 

 

Cinewax : Pourquoi être parti en binôme avec ton disquaire Aidan Craik ?

R. Mbou Mikima : Je me suis un peu incrusté dans le voyage d'Aidan parce que pour moi c'était une double quête. La rencontre avec Aidan s'est d'abord faite au Havre. Il était venu assisté à la projection d'un film que j'avais réalisé en Roumanie il y a quelques années. Ce film racontait l'histoire des congolais de Kinshasa qui s'étaient retrouvés dans une espèce de grosse arnaque en Roumanie. À la projection, Aidan a découvert le Congo. Il n'avait jamais vu à quoi ressemblait ce pays et il a vu pour la première fois des images du Congo. À la fin du film, il est venu me parler en me disant :

"Voilà, je parcours l'Afrique depuis quelques années à la recherche de vieux vinyles et dans tous les pays où je suis allé, je suis tombé sur au moins un vinyle du Congo. Les gens me disent que le Congo est le berceau de la rumba, une musique que j'aime beaucoup. Et j'ai envie d'aller découvrir ce pays." Aidan Craik

Sur ce, il m'invite à visiter sa boutique. Là, je vois des vinyles que j'écoutais étant petit. Alors, sans plus réfléchir, je lui dis "Ok, je t'accompagne. Si tu veux partir au Congo, on y va." C'est là que l'idée de la double quête est née : la quête d'Aidan qui était de trouver l'origine de la rumba et pour moi c'était un retour aux sources, à mon enfance. C'était aussi pour retrouver une page d'histoire de ce que mes parents me racontaient en musique. Pour moi c'était donc une quête identitaire et pour Aidan, une quête artistique, marchande et commerciale.

 

Cinewax :  Ce road-movie documentaire est donc autant un film sur l’enfance que sur la musique ?

R. Mbou Mikima : Sachant que mon enfance a été nourri par cette musique, ce film est vraiment un retour à l'enfance. Il y a une séquence dans ce film que j'ai eu plaisir à tourner et qui est un moment de grâce et de bonheur pour moi. C'est le moment où je redeviens l'enfant de ma mère : je questionne ma mère sur ce qu'elle écoutait à l'époque et surtout sur la portée que cette musique avait pour elle et les congolais. Pour moi, cela fait écho à ma première visite dans la boutique d'Aidan où j'avais trouvé l'album que j'écoutais dans la maison familiale, une chanson que ma mère reprenait beaucoup. Cette chanson c'est Mario de Franco Luambo Lua Ndjo Makiadi, qu'aujourd'hui toute l'Afrique connaît.

 

Cinewax : Quelle est ta définition de la musique congolaise ?

R. Mbou Mikima : Pour moi, c'est un cri du coeur. Ça a beaucoup changé aujourd'hui mais à l'époque, la musique congolaise c'était de la politique, de l'engagement citoyen, c'était aussi de la pédagogie, des beaux moments de connaissance et de partage. C'était des chroniques sociales, la sagesse aussi. Cette musique m'a bercé, m'a construit notamment les chansons à textes que j'écoutais tout le temps quand j'étais enfant.

 

Aujourd'hui, la musique est passée du côté commercial et urbain. Mais les voix des années 1970 étaient des voix de sagesse.

 

 

Cinewax : Si tu devais retenir qu’un seul vinyle, qu’un seul CD, ne serait-ce qu’une seule parole de cette musique congolaise, quelle serait-elle ?

R. Mbou Mikima : Pour moi c'est incontestablement toute la discographie de Franklin Boukaka. Quand j'ai découvert de que chantait Franklin Boukaka, ça a fait sens avec mes propres engagements humains et politiques. Sachant que c'est le premier artiste africain à être assassiné pour ses idées. C'est quelqu'un qui a chanté les Indépendances et la désillusion des Indépendances, quand les anciens peuples colonisés ont repris le pouvoir et qu'ils ont voulu reprendre les codes des colons qu'ils avaient chassés. Celui qui avait le pouvoir avait envie de s'installer dans la case du colon, de s'habiller comme lui et de maltraiter ceux qui étaient sous lui pour exprimer son pouvoir et sa domination sur les autres. Il y a une belle chanson de Boukaka qui s'intitule Les Immortels où il cite les grands noms des Indépendances en Afrique, et au-delà tout ceux qui ont lutté pour la libération des peuples. Il y a une autre chanson de lui qui est connue partout et qui a été chantée dans tous les pays africains qui ont accéder à l'indépendance, c'est Africa Liberté. C'est véritablement mon maître à penser, un homme qui m'a nourri en tant qu'artiste. 

 

 

 

Sidney Cadot-Sambosi, rédactrice Cinewax

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